Par Laurent Champaney Directeur général de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Métiers.
LES ECHOS –
A l’origine, en France, l’ingénieur était un « engigneor », un constructeur d’engins de guerre. D’où une image austère, et un manque de visibilité dans notre culture. Aux Etats-Unis, à l’inverse, ils ont été les héros qui aidaient la population à prospérer… Mais le Covid-19 et la transition climatique pourraient faire évoluer ce regard.
La fonction des ingénieurs et les écoles d’ingénieurs françaises les plus anciennes ont une origine militaire.
Nos ingénieurs ont un passé militaire qui les poursuit et, sans doute, leur nuit. L’origine de leur nom se trouve, en effet, dans l’ancien français « engigneor » : constructeur d’engins de guerre, celui qui inventait et construisait des armes ou des fortifications. Ce fut longtemps la fonction des ingénieurs, et les écoles d’ingénieurs françaises les plus anciennes ont une origine militaire.
Cette image militaire colle à la peau des ingénieurs français et n’est certainement pas étrangère au manque d’attractivité de leurs carrières auprès des jeunes. L’action des ingénieurs n’est pas perçue comme profitable aux femmes et aux hommes. La performance et le profit semblent être leur leitmotiv et la ressource humaine n’est qu’un des outils de leurs réalisations.
On ne les voit jamais dans les séries…
La conséquence de cette mauvaise image est leur absence totale de visibilité dans la culture française : le héros d’un film de société n’est jamais un ingénieur, on ne leur consacre pas de reportage, on ne les voit pas dans les talk-shows, ni dans les séries ou la télé-réalité…
En Amérique du Nord, la place sociale des ingénieurs est très différente et leur origine n’est pas militaire. Ils sont ceux qui ont aidé une population de migrants à prospérer en s’installant progressivement sur des terres hostiles. Ils ont fait l’industrie et l’agriculture intensive pour répondre aux besoins d’une population en croissance. Ils donnent ainsi l’impression que nourrir, loger, déplacer, soigner et divertir les femmes et les hommes sont leur raison d’exister !
En Amérique du Nord, la place sociale des ingénieurs est très différente et leur origine n’est pas militaire. Ils sont ceux qui ont aidé une population de migrants à prospérer en s’installant progressivement sur des terres hostiles.
Les ingénieurs américains ou canadiens ont en conséquence une vraie place dans la culture et on leur consacre des reportages captivants (« Extreme Engineering », « Impossible Engineering », …) qui montrent des ingénieurs, femmes et hommes, relever des défis insurmontables pour répondre aux besoins urgents de la communauté.
La crise a fait ressortir le manque de scientifiques
Cependant, les choses sont peut-être en train de changer aujourd’hui en France et, dans tous les cas, la période est favorable à une nouvelle image des ingénieurs.
Les urgences de la crise sanitaire ont fait ressortir le besoin impérieux d’ingénieurs au service de la société : pour déployer des systèmes de traçage, produire des vaccins en grand nombre, organiser les circuits logistiques complexes, accélérer le traitement des échantillons des tests, etc. D’ailleurs, pendant le confinement, les élèves-ingénieurs se sont mobilisés pour équiper les professionnels de santé de centaines de milliers de visières fabriquées avec leurs imprimantes 3D personnelles ou celles de leurs écoles !
Il y a sans doute un changement dans la façon dont la société perçoit ses ingénieurs et leur rôle. N’avons-nous pas plusieurs fois regretté le manque d’ingénieurs et de scientifiques dans les prises de décision de l’Etat au cours de cette crise ?
Dans l’urgence, la société change de regard
Nous avons donc l’impression que lorsque la société est en demande, dans l’urgence, elle est capable de changer son regard sur ses ingénieurs. La question climatique est l’urgence ultime qui a besoin des sciences et des techniques des ingénieurs pour construire une société moins gourmande en CO2 ; car même les low techs et une autre forme de croissance requièrent de l’ingéniosité…
La prise de conscience collective des urgences environnementales peut sans doute remettre les ingénieurs à leur vraie place : au service de la prospérité de la société, des femmes et des hommes, avec une réponse humaniste et respectueuse de leurs besoins vitaux. Qui ne s’en réjouira ?
