La fonderie et Piwi

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Par : piwi
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lundi 16 Nov, 2015
Catégorie : Qui est qui

NAISSANCE DU LIVRE

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Texte d’une conférence (4 feuillets) de notre ami Frédéric Tachot –
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Cela va bien au delà des histoires que nous lui faisons raconter à JF…BA. On s’honore de son amitié.

Le livre dont la forme nous semble tomber sous le sens, n’a rien d’évident. C’est au contraire la plus imprévisible des configurations, la plus sophistiquée des structures et il n’était en rien prévu d’avance que le livre prendrait cet aspect. Toutefois, deux éléments – à l’origine de mythes fondateurs – ont présidé à sa création : l’arbre et l’argile. Deux éléments omniprésents dans notre quotidien. En effet, nous sommes entourés d’argile : habitations, briques, ciment, crayons, produits de soins, carrelage, faïences, poteries, isolants thermiques, litières pour animaux… Il en est de même pour le bois : maisons, abris, meubles, charpentes, armes, chauffage, véhicules… Arbre et argile sont présents dans toutes les cultures, dans toutes les croyances.
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Le premier homme aurait été pétri d’argile. Cette roche que nos anciens pensaient être de la terre et qui est rendue malléable par l’eau, devient dure en séchant à l’air et se transforme en pierre sous l’action du feu. L’argile réunit les quatre éléments fondamentaux : terre, eau, air et feu. Quant à l’arbre, de par sa verticalité,
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il est le lieu sacré où le ciel s’enracine à la terre. Racines qui puisent leur nourriture dans les profondeurs cachées du sol afin que son tronc et ses branches fendent l’espace aérien. C’est le symbole par excellence de la vie en perpétuelle évolution. Le déroulement de son cycle annuel l’associe tout naturellement à la succession de la vie, de la mort et de la renaissance.
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Ces deux matières qui nous entourent ont naturellement été les premiers supports de l’écriture que je qualifierai de mobile au sens de transportable.
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Pendant très longtemps ce qui tenait lieu de livre, je veux dire le contenant d’un écrit de taille respectable, le biblos des Grecs a adopté la forme du rouleau. Biblos, nom de la ville phénicienne qui faisait principalement le commerce de son matériau est aujourd’hui au Liban et a donné son nom à « bibliothèque ». Le rouleau que les Latins appelaient volumen, a évolué depuis en « volume », bien qu’on ne le déroule plus. Cette forme était la plus naturellement adaptée à son matériau d’origine, le fameux papyrus, support végétal savamment fabriqué depuis au moins 5 000 ans par les Égyptiens qui en gardaient jalousement le secret de fabrication de façon à garantir leur monopole. Le secret fut si bien gardé qu’il fut perdu lors de l’effondrement de la civilisation égyptienne et qu’il fallut attendre le XX e siècle pour qu’on réussisse à en fabriquer de nouveau. Ce support végétal ne sera remplacé que des millénaires plus tard par un autre support végétal venu lui aussi de très loin et auquel le papyrus a légué son nom : le « papier ».
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Le volumen antique, serré sur un bâton, se déroulait en Occident de droite à gauche, on le lisait par conséquent de gauche à droite, en colonnes successives d’environ huit centimètres de large. La lecture d’un volumen consistait à prendre un rouleau dans la main droite et à le dérouler progressivement de la main gauche.
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Sa longueur pouvait varier de six à quarante mètres sur une hauteur de 30 à 40 cm. On le ré- enroulait parfois sur un second bâton, mais de toute façon les deux mains y étaient occupées, on s’aidait même parfois du menton à en croire certaines allusions ironiques de l’époque.
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Cela pour les textes d’une certaine longueur. Pour les autres, les écrits courts, lettres, notes, listes et comptes de toutes sortes sans parler des inscriptions sur pierre, le monde antique recourait à d’autres supports : argile, bois tendre le fameux liber, situé entre écorce et bois dur, zone où circule la sève. Si vous décollez un lambeau d’écorce, que vous écrivez avec une pointe légèrement arrondie et que vous laissez sécher à plat, le texte apparaîtra et il sera impossible de l’effacer. Le liber sera abandonné au profit du papyrus, mais laissera son nom au « livre ».
L’utilisation d’autres supports se développa dès que les difficultés d’approvisionnement en papyrus apparurent. Les peaux de mouton, de chèvre, d’agneau ou de veau – d’où le nom de « vélin » – remplacèrent l’ancien support dont Pergame s’était fait une spécialité depuis le IIe siècle avant J.-C.

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On y fabriquait le pergamena, qui donna son nom au « parchemin ». Pergame, ancienne ville d’Asie Mineure, est aujourd’hui Bergama située dans la province d’Izmir en Turquie. Toutefois, le support le plus fréquemment employé, notamment par le monde Romain, fut bientôt le bois dur, soit blanc en latin albus, comme l’aube, d’où plus tard le mot « album ». On y écrit à l’encre avec le « calame », soit plus fréquemment recouvert de cire, où l’on inscrit les lettres à l’aide d’un style,
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(moulé & coulé par Fredéric au LT de Chartres)

ancêtre de notre « stylo ». Très tôt on a, notamment pour la correspondance, associé les tablettes de bois par deux au moyen d’une charnière, le message d’origine sur la partie gauche, la seconde tablette pour la réponse, le tout se fermant comme une petite boîte. Cet assemblage, formant diptyque, d’où le nom de diploma signifiant double donna naissance au mot « diplôme ».

Serait-ce là l’origine du livre moderne ? À Rome, le « diplôme » correspondait soit à des sortes de passeports ou permis de circulation que le sénat ou l’empereur donnait au personnes voyageant pour les affaires de l’État, soit aux légionnaires qui avaient accompli leur temps de service. Selon l’importance des écrits, les tablettes pouvaient être en ivoire ou en bronze. Ce n’est qu’à la Renaissance que les érudits exhumèrent ce mot pour désigner les actes solennels donnés par les autorités constituées.

C’est bien à Rome, peuplée d’esprits ingénieux et pratiques, qu’est né ce nouvel objet si original, selon moi pour des raisons propres à la culture locale. En effet, l’un des fondements de la civilisation romaine, sinon son principal fondement, c’est le droit, d’abord oral comme partout ailleurs, puis, c’est la grande nouveauté, écrit, et écrit sur des tables, douze d’abord, puis beaucoup plus, et de plus en plus. Or l’exercice de la justice, à mesure qu’il s’appuie sur ces textes innombrables, suppose qu’on puisse accéder rapidement aux différentes lois impliquées par tel ou tel cas, et les mettre le plus possible en regard les unes des autres.
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D’où l’idée de les articuler autour d’un axe réel ou imaginaire. C’est probablement le sens du nom dont on va désigner cette morphologie : « tronc », en latin codex, pour les faire littéralement tourner autour de cet axe, par le moyen d’attaches souples ou rigides, selon le poids et le nombre des éléments. On pouvait ainsi empiler une ou plusieurs dizaines de tablettes à deux faces, entre deux tablettes à une seule face écrite, servant de couverture.
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Pour consulter le codex il suffisait de l’ouvrir. On passe ainsi du déroulé au feuilletage en faisant pivoter les faces successives. Un nouveau monde s’ouvre alors, non plus continu, mais segmenté, qui va bientôt donner lieu à une lecture discontinue, par chapitres, puis à la constitution d’index et de corrélats, de table des matières, espaces entre les mots, ponctuation, paragraphes, pagination, une véritable révolution en germe. Ajoutons qu’on peut le lire d’une main, et par conséquent prendre des notes, c’est le début de la lecture personnelle d’appropriation, et de la glose, ces annotations très concises que contiennent certains manuscrits entre les lignes ou en marge visant à expliquer au lecteur un mot ou un passage jugé obscur. Il suffira de remplacer ensuite les tablettes par des feuilles de papyrus ou, plus solides et moins cassantes, de parchemin, pliées en deux c’est-à-dire in folio, ou même en quatre in quarto ou quaternio en bas-latin, qui donnera son nom au « cahier » ou en huit in octavo, etc., puis de les coudre ensemble et de les relier dans le même esprit que les premiers codices de bois, pour aboutir à la forme que nous connaissons. Codices qui nous laisserons le mot « codicile ».
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On pourrait croire que cette révolution fut rapide : point du tout ! Il fallut trois siècles au début de notre ère pour que le codex commence à s’imposer au détriment du volumen, qui garde tout son prestige lorsqu’il s’agit de textes importants, officiels ou sacrés comme la Torah. Ne parle-t-on pas encore de « parchemin » pour un diplôme ?
La nouvelle forme du livre reste longtemps associée à l’image du texte court, prosaïque ou technique, carnet de compte, correspondance privée, code de lois. Grégoire le Grand au VIe siècle doit encore se justifier de recourir au codex, parce qu’on peut y coucher sur six exemplaires le contenu de trente rouleaux. Grégoire, docteur de l’Église est l’auteur des Dialogues. C’est lui qui, après sa mort, a donné son nom aux chants grégoriens.

Au fond ce sont les chrétiens qui ont fait le succès du nouveau livre entre I e et IVe siècle : il leur permettait la consultation rapide et efficace de tous leurs textes sacrés, qu’ils pouvaient ainsi emporter avec eux partout et assimiler à fond. Pour eux, contrairement aux Juifs, l’écriture sacrée, comme plus tard pour les musulmans le Coran, est close, elle peut se refermer sur elle-même, elle entre littéralement dans le codex, complet et autonome. En revanche, contrairement au Coran, elle n’est pas de la main de Dieu, elle est donc parfaitement compatible avec l’objet livre, moins noble que le rouleau ou la table de loi mosaïque qui désigne l’ensemble des préceptes donnés par Moïse au peuple juif et que l’on rencontre dans l’Ancien Testament et dans certains passages du Nouveau.

Et c’est ainsi que du VIe au XIIIe siècle on voit arriver le papier en Europe. Le codex va progressivement acquérir cette forme parfaite qui est encore lisible dans ses éditions les plus soignées, et où l’on reconnaît parfaitement, à la verticale d’un livre grand ouvert, le vide quasi cylindrique autour duquel pivotent les feuilles comme autant de tablettes, jusqu’à la trace ancienne des attaches circulaires, les « nerfs » en relief sur le dos. Objet parfait, à la fois végétal avec son papier, animal avec le cuir de sa reliure, parfois de son parchemin, minéral avec ses dorures, objet complet dont le développement de l’imprimerie achèvera de faire notre livre à partir du XVe siècle.
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Mais le volumen n’est pas mort, loin de là, dès lors qu’il s’agit de documents de prestige, sans compter la forme médiévale du rotulus, mot qui se mutera en « rôle » puis en « rouleau ». Vertical cette fois, à lire en le déroulant de haut en bas, et à son tour plus pratique et moins encombrant que le livre, pour de multiples usages quotidiens dont atteste le riche champ lexical du « rôle », rôle d’impôt, rôle de théâtre, enrôlement et même contrôle (registre en partie double) et contrôleur. Mais pour finir les tours et détours de l’histoire technologique, de nos jours quel est le principal concurrent du livre,
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on dit même qu’il risque d’en mourir ? C’est la tablette, oh bien sûr, un peu plus sophistiquée que celle des Romains, mais la forme, puisque c’est ce qui nous occupe ici, est bien la même. Comment la lit-on, grâce à l’électronique informatique ? En faisant défiler les écrans comme autant de colonnes sur un volumen ou un rotulus !

Et attendez, que nous promet-on dans un proche avenir, sinon bien sûr les tablettes souples ? Vous verrez qu’on finira par nous les proposer… en rouleau !

Je vous remercie de votre très patiente attention. Frédéric Tachot, Orléans, le 19 mai 2015
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Texte d’une conférence pour Graphê dans les locaux de la CARPILIG le mardi 19 mai 2015 et article dans Graphê (association pour la promotion de l’art typographique) dans le numéro de juillet 2015.

Zone de commentaire !

2 commentaires pour : "NAISSANCE DU LIVRE"

  1. Bonjour Fréderic Je viens de lire ton texte sur mon mobile,pas encore assez souple pour que je puisse le rouler dans ma poche
    C’est rbien différent de la chanson sur la cousine mais c’est ce que l’on aime en toi :ta capacité à basculer sans cesse du comique au sérieux sans crier gare

    Bien amicalement d’un vendeur d’argile qui ne reste pas de bois devant de tels textes. Patrice Moreau qui a utilisé son stylet pour te féliciter.

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